99,8% des piétons tués en France en 2022 l’ont été par un conducteur de véhicule motorisé. (Base accident de la sécurité routière citée par Libération)
Si vous avez découvert en ville les affiches de sécurité routière de l’EMS, vous aurez sans doute constaté comme nous l’étrange positionnement des messages. Plutôt que cibler les dangers les plus graves (usage du téléphone au volant, vitesse excessive, refus de priorité par les usager·es motorisé·es, …), les messages mettent l’accent sur les principales incivilités observées dans les villes (déambulation sur les pistes cyclables, circulation à vélo trop rapide en zone piétonne, circulation à trottinette sur les trottoirs…).
Alors qu’une question prioritaire devrait être sur toutes les lèvres (pourtant elle n’est jamais posée de cette manière) : “Sur la route, qui tue qui ?”
Une campagne d’affichage qui rate sa cible
SAV a été consultée en catimini et à la dernière minute en amont de la diffusion de ces affiches. Si nous saluons la volonté de nos élu·es d’entendre la parole des cyclistes, nous regrettons le choix de braquer les projecteurs sur des frustrations du quotidien certes bien réelles mais peu en lien avec les accidents graves de personnes, plutôt que de s’attaquer enfin aux causes réelles de l’accidentologie.
Dans un but de transparence, voici les propositions portées par notre association (nous avions un délai de 48h pour les proposer) :
- À vélo comme en voiture, je m’arrête aux passages piétons
- A vélo, je respecte les piétons et j’adapte ma vitesse à leur proximité
- En voiture, je ne m’arrête ni sur les pistes cyclables ni sur les passages piétons (même pour décharger, il est interdit de s’arrêter sur un trottoir ou une piste cyclable).
- En voiture, pas de téléphone : je garde les yeux sur la route et je prête attention aux autres usagers (et pourtant, d’après une étude 80% des automobilistes utilisent le téléphone au volant).
- En voiture, je double les vélos seulement si je peux laisser un mètre de distance
- A pied, je ne marche pas sur les voies cyclables
- A pied, en zone partagée je prête attention aux autres usagers pour leur permettre de me laisser la priorité
Et voici les thèmes retenus par la commission :
Cette campagne rate clairement sa cible en consacrant une majorité de ses visuels aux mobilités actives : 5 pour les piéton·nes et cyclistes contre seulement 2 pour les automobilistes, alors même que ce sont les véhicules motorisés qui causent les accidents les plus nombreux et les plus graves (les statistiques sont édifiantes et devraient être la base de toute démarche dite “de sécurité routière”).
Elle rate également son message pédagogique car elle n’explique pas clairement les conséquences néfastes des problème qu’elle souhaite combattre. Par exemple, “je ne stationne pas sur les pistes cyclables” ne prend du sens que si l’on y ajoute “pour ne pas mettre en danger les cyclistes qui l’utilisent”.
Exemple d’une campagne de sensibilisation contre le stationnement sauvage en Ecosse. Ici, l’enjeu est de sensibiliser aux conséquences directes en mettant en avant les principales victimes : les usager·es vulnérables.
Pendant ce temps, voilà le genre d’ironie auquel nous assistons : placer cette affiche sur le support publicitaire du trottoir longeant l’Hôpital Civil sur le Quai Taffel. Ce pincement rend le trottoir minuscule et empêche les piéton·nes de circuler. De l’autre côté de la route, ce n’est guère mieux : un trottoir un peu plus large mais tout aussi inconfortable. L’affiche a été retirée depuis, remplacée par une autre…
Tout de même, réussir à blâmer les piéton·nes tout en dégradant leurs conditions de circulation : c’est une belle prouesse ! Symbolique d’une démarche sans méthode sur les sujets de sécurité routière, qui produit de la frustration et de l’absurdité plutôt que des résultats.
Le choix de l’EMS : ramer à contre-courant des statistiques de l’accidentologie en médiatisant exclusivement les actions de contrôle et de répression qui visent les cyclistes
Il y a quelques jours, une action de sensibilisation et de verbalisation du respect de la priorité piétonne par les cyclistes a été organisée par la municipalité, qui a fait le choix de la médiatiser sur les réseaux sociaux.
On attend toujours une publication de Mme Zourgui (adjointe en charge de la police municipale et de la prévention de la délinquance) consacrée à une campagne de communication et de verbalisation pour réduire les infractions qui mettent cyclistes et piéton·nes en danger (vitesse motorisée excessive, dépassement dangereux, téléphone au volant, refus de priorité, non-respect du passage piéton, non respect des zones de rencontre, …) ! Vous avez dit non-respect du passage piéton ? C’est justement ce phénomène que pointait ce reportage de France 3 tourné avenue des Vosges en 2018. Les infractions des automobilistes sont moins visibles et moins décriées que certaines incivilités cyclistes, les piéton·nes ayant intériorisé la supériorité de la circulation automobile sur leurs propres droits : pouvoir traverser en sécurité au vert ou sur un passage piéton. Pourtant, les conséquences de ces infractions peuvent être bien lourdes.
Comme évoqué précédemment, le contexte de l’action “priorité piétons” de l’EMS pose question. Quelques jours seulement après le terrible accident ayant causé une grave hospitalisation d’une cycliste sur une traversée cyclable et piétonne non respectée par les motorisés. Quelques jours après la “perte de contrôle” liée à une conduite excessivement rapide et dangereuse qui a envoyé une piétonne à l’hôpital après avoir fait voler en éclat la vitrine d’un magasin en plein centre-ville. Ce grave accident a eu lieu en pleine zone de rencontre où les automobilistes ne respectent pas la vitesse de 20 km/h et ne sont pas sensibilisés à l’existence de cette limitation, comme l’ont montré les nombreux commentaires sur les réseaux sociaux évoquant une zone 30.
Le choix de médiatiser des actions de verbalisation contre les cyclistes, alors même qu’aucune action de ce type visant les automobilistes n’a fait l’objet d’une telle médiatisation, nous semble être un mauvais signal. N’inversons pas la pyramide accidentologique : les accidents graves sont provoqués par les usager·es de véhicules motorisés, pas par les cyclistes !
Si les actions menées en vue de réduire les accidents sont nécessaires et bienvenues, la surmédiatisation des actions menées envers les cyclistes est stigmatisante et entretient un discours vélophobe, alors que le danger réside bien ailleurs : le manque de sécurisation des intersections et la vitesse motorisée excessive. Et ce n’est pas Strasbourg À Vélo qui le dit, ce sont les statistiques officielles.
A quand une véritable campagne de sécurisation des modes vulnérables ?
Nous attendons donc de la part des pouvoirs publics une véritable campagne de sécurisation des usager·es vulnérables, passant par une sensibilisation et une répression ciblant spécifiquement la délinquance motorisée. Les actions de sécurité routière doivent être basées sur les chiffres de l’accidentologie, et non sur des ressentis et impressions personnelles. Dans le même esprit d’objectiver et de rationaliser les choses, nous avons demandé, il y a déjà plusieurs mois, les chiffres exacts des campagnes de verbalisation menées par la Police Municipale et la Police Nationale ainsi que les données des radars pédagogiques (non communiqués à ce jour).
N’oublions pas aussi que le partage de la route mélangeant des modes de déplacement ayant des vitesses et des masses considérablement différentes est source de conflits et de dangers.
Nous attendons donc qu’un soin particulier soit enfin apporté aux cheminements et trajectoires cyclables dans l’aménagement des intersections, pour permettre d’y sécuriser enfin la pratique du vélo.
- A quand un premier carrefour sécurisé à la hollandaise au sein de l’EMS ?
- A quand un marquage de couleur des trajectoires cyclables aux intersections ?
- A quand une démarche de création de pistes cyclables tactiques pour résorber les nombreux points noirs et discontinuités cyclables ?
Une autre approche de la sécurité routière est pourtant possible : pendant que l’EMS bricolait maladroitement une campagne de communication à l’eau tiède et aux objectifs nébuleux, d’autres collectivités en France travaillaient à l’adoption de mesures politiques ambitieuses ayant pour but de sauver des vies humaines.
La stratégie politique de “Vision Zéro” (comprenez : objectif zéro mort, zéro blessé grave dans les rues et sur les routes) a été adoptée dans le nouveau plan piéton de Paris, ainsi que par la métropole de Lyon.
Il nous paraît urgent de revenir à la raison et d’adopter enfin ce type de stratégie réellement efficace et volontariste (et de la décliner dans des plans d’actions ambitieux). Bien plus urgent en tout cas que de se précipiter pour placarder une fournée d’affiches mal conçues aux 4 coins de l’EMS…